Weekly outline

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  • 29 septembre

    Présentation du cours. Le cours s’attachera à poser la question des rapports entre philosophie et littérature. La philosophie n’a pas un lien nécessaire à la littérature (Socrate n’était-il pas « celui qui n’écrit pas », selon le mot de Nietzsche ?) et une bonne part de la production philosophique est notoirement indigeste au point de vue littéraire. Il n’est donc pas du tout évident que la philosophie ait à se préoccuper de littérature, pas plus qu’il n’est évident que la littérature ait à se préoccuper de philosophie. Pourtant, au vingtième siècle, un certain nombre de romanciers et de théoriciens du roman ont affirmé qu’il existait un lien étroit entre littérature et philosophie. Parmi les romanciers qui l'ont fait figurent les auteurs qui se sont fait connaître sous l'étiquette de "Nouveaux romanciers" (avec une majuscule sur le "N", selon l'usage proposé par Alain Robbe-Grillet). Le Nouveau roman a traité les codes implicites de l’écriture romanesque comme des préjugés philosophiques qu’il s’agissait de dépasser, notamment l'idée de personnage, l'idée d'intrigue et l'idée d'auteur. C’est en ce sens qu’il s’est présenté comme un « laboratoire de la subversion ». Le Nouveau roman a tenté une expérimentation inédite en remettant en cause des codes implicite de l'écriture littéraire et en cherchant explicitement à les dépasser. Ce faisant, il s'est intéressé aux "voix littéraires" (un personnage est-il une voix ou plusieurs ? une intrigue est-elle unique ou multiple ? et l'auteur lui-même n'a-t-il pas plusieurs voix ?). En démultipliant les sources narratives les Nouveau romanciers obtinrent parfois des résultats déconcertant mais qui pouvaient en partie se revendiquer d'un théoricien du roman qui a très tôt réfléchi à la pluralité des voix littéraires : Mikhaïl Bakhtine. Bakhtine a développé aussi le concept de « polyphonie » pour rendre compte de ce que le romancier peut réaliser dans un roman. Il oppose la polyphonie au discours qu’il nomme « monologique » (discours articulé autour d’une logique unique) des savoirs. Seul le roman (et à partir d’une certaine époque et chez certains auteurs) est parvenu à dépasser le discours monologique pour faire sa place à la polyphonie, affirme Bakhtine. Dans quelle mesure ce caractère du roman (dans l'hypothèse où il est retenu comme valable) peut-il intéresser la philosophie ?

    Présentation de la bibliographie.

  • 6 octobre

    Que signifie Nouveau Roman ? L’expression est d’abord proposée par des critiques littéraires (Emile Henriot, article du Monde, 22 mai 1957), avec une connotation ironique, et sur le fondement d’une analogie avec le mouvement de la « nouvelle vague » dans le cinéma. Elle est « retournée » en étiquette affirmative, et donc positive, par Alain Robbe-Grillet. Elle est ensuite « institutionnalisée », pour ainsi, par un éditeur,  Jérome Lindon, alors directeur des Éditions de Minuit. Le Nouveau Roman n’est pas une invention individuelle, mais c’est le fruit de ces différents acteurs (le critique qui guette l’évolution d’un domaine ; l’auteur qui cherche à accompagner ou à produire cette évolution ; l’éditeur qui cherche à s’en faire le porte-parole). Ces trois acteurs ont un dénominateur commun : l’avant-garde. Le Nouveau Roman est l’avant-garde littéraire de la deuxième moitié du vingtième siècle en France. Cette avant-garde se veut donc en rupture avec les œuvres « existentialistes » de Sartre et de Camus qui ont eu un très grand succès dans l’immédiat après-guerre (Camus 1913-1960, Prix Nobel en 1957 ; Sartre 1905-1980, Prix Nobel refusé en 1964). Mais, on va voir que cette rupture est loin d’être une simple opposition. En témoigne le fait que Sartre ait préfacé le livre de Sarraute Portrait d'un inconnu. C’est, de plus, Sartre qui a proposé le concept à partir duquel Sarraute reconnaîtra le mouvement qu’elle a cherché à accomplir avec le terme de sous-conversation. Nous avons ici un bel exemple de ce que peut être la littérature éclairée par la philosophie et de la philosophie éclairée par la littérature.
  • 13 octobre

    On a vu comment un va et vient particulièrement fécond entre philosophie et littérature s’était installé entre Sarraute et Sartre. Aujourd’hui, je voudrais poser la question des rapports de Sartre et du Nouveau Roman, et plus particulièrement de Sartre et de Robbe-Grillet. En ligne : Sartre et le Nouveau Roman. Ambivalence de ces rapports : Robbe-Grillet admire La nausée bien plus que Les chemins de la liberté et estime que lui-même tente d’écrire, avec le Nouveau Roman, le livre que Roquentin (le héros de La nausée) tentait d’écrire. Les deux écrivains se retrouvent néanmoins sur des engagements politiques : Manifeste des 121 (1960). Chez Robbe-Grillet : idée selon laquelle la forme nouvelle (du roman) implique un homme nouveau. Significativement, dans son recueil d’essais intitulés Pour un nouveau roman, paru en 1963, le dernier chapitre, qui reprend un article paru en 1961, s’intitule Nouveau roman, homme nouveau. Ce qui fascine l’époque et ce qui, on va le voir, simultanément divise l’époque, c’est précisément le concept d’homme nouveau. L’écrivain est dans un monde et en est solidaire. Avec l’écriture il peut agir sur ce monde. Il doit agir sur ce monde, d’après Sartre. S’il ne le fait pas, il manque à sa mission. Robbe-Grillet va prendre l’exact contre-pied de l’affirmation de Sartre. L’écrivain ne peut, pas plus que n’importe quel autre artiste, savoir à quoi il sert. La littérature n’est pas pour lui un moyen, qu’il va mettre au service de quelque cause. Plus de personnage, plus d’intrigue. Et pourtant, une revendication de réalisme.
  • 20 octobre

    Robbe-Grillet : « Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi » (Le miroir qui revient). Il va s'agir d’assumer une position qui n’est pas celle qui avait été définie (par Robbe-Grillet notamment) comme étant celle du Nouveau Roman. Autocritique du romancier. L’illusion biographique dont parle Bourdieu est analysée à partir d’une œuvre qui est plutôt une restauration de l'autobiographie. Il est étonnant — surtout, sans doute, pour ses lecteurs de l’époque — de voir un auteur comme Robbe-Grillet s’attacher à rédiger une autobiographie (et, comme il le remarque lui-même, cela semble plutôt relever du changement de position doctrinale, quelle que soit la manière dont on justifie ce changement). Pourquoi ? Parce que parmi les thèmes qui furent développés par les auteurs du Nouveau Roman figure le thème de « la mort de l’auteur ». Roland Barthes publie, en 1967, un texte intitulé La mort de l’auteur. Le retour de l’auteur s’amorce de façon nette à partir de 1977. Serge Doubrovsky publie Fils en 1977 où il définit l'autofiction : « un récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle ». Il ajoute : « Avec l’autofiction et le succès qu’a rencontré le genre, on a changé d’époque ». Importance de la réflexion de Philippe Lejeune sur l'autobiographie : Le pacte autobiographique, 1977 et son lien avec la notion d'autofiction. Pacte romanesque et pacte autobiographique. Mise en évidence de l'existence d'un possible autre type de récit : l'autohétérobiographie. Cas de Gertrude Stein, Autobiographie d’Alice Toklas, 1933. Christine Angot, Sujet Angot, 1998. Importance de l'autohétérobiographie. Pour que l’auteur puisse se voir depuis l’extérieur de lui-même, il doit opérer une sorte de dissociation objectivante. Sa subjectivité devient le lieu à partir duquel il s’envisage en tant qu’il est lui-même, pour autrui, une objectivité.

    Exposé : Paul Boulay sur La mémoire, l'histoire, l'oubli de Paul Ricœur

  • 27 octobre

    Reprise du tableau de Lejeune. Interrogation sur la notion de subjectivité : généalogie du contexte de réflexion dans lequel le Nouveau Roman se déploie. Qu’est-ce qu’un auteur ? de Michel Foucault : complète et réévalue les analyses de Barthes présentées dans La mort de l’auteur. Source de la notion de « discours » : Émile Benveniste. Conséquences : du Nouveau Roman à l’autofiction. La forme originale, dans le cas du Nouveau Roman, passait par une subversion des règles implicites du roman classique (là où le roman classique préconisait de construire des personnages, le Nouveau Roman préconise de déconstruire des personnages, là où le premier préconisait de construire des intrigues, le second préconise de déconstruire des intrigues, etc.). Dans l’autofiction, la subversion concerne le jeu du réel et du fictif au sein même du vécu. Relater le vécu, ce n’est pas seulement raconter ce qui a factuellement eu lieu, mais c’est aussi dire ce qui a fictivement eu lieu. Donc accéder à la couche de fictivité qui entoure tout réel vécu.

  • 3 novembre

    Vacances de la Toussaint

    • 10 novembre

      Dans l’autofiction, la subversion concerne le jeu du réel et du fictif au sein même du vécu. Relater le vécu, ce n’est pas seulement raconter ce qui a factuellement eu lieu, mais c’est aussi dire ce qui a fictivement eu lieu. Donc accéder à la couche de fictivité qui entoure tout réel vécu. Cette « couche de fictivité » qui compose tout vécu authentique serait le domaine propre de la littérature. Et c’est ce domaine qui aurait été identifié de manière particulièrement exacte et précise dans l’autofiction. Quand Doubrovsky définit l’autofiction comme fiction d’événements et de faits strictement réels, il est évident que plusieurs interprétations peuvent être donnés de cette définition. Ces textes ont un narrateur qui dit « je ». Ce « je » entretient un rapport variable avec l’écrivain. Tantôt, comme chez Doubrovsky, il s’agit de l’écrivain lui-même (l’accent est alors mis sur le préfixe « auto » dans le terme autofiction). Tantôt l’accent est mis sur fiction. Ce dernier terme peut, de plus, être entendu en plusieurs sens. On peut s’attribuer des épisodes de vie qu’on n’a pas vécus. Mais on peut aussi « donner une forme littéraire » à des épisodes qu’on a effectivement vécus. Les sens du mot fiction : « invention » mais aussi « mise en forme » détermine aussi le sens du mot autofiction. Le pacte que propose Doubrovsky est (en principe) contraignant : tous les faits mentionnés se doivent d’être exacts. Mais, bien sûr, les interprétations, les liens suggérés entre les significations qui surgissent sont, eux, librement pensés et, en ce sens, fictifs. C’est ce qui a pu conduire à parler de « pacte autofictif » (Chloé Delaume) pour décrire ce type de littérature (donc, un type de pacte qui se distingue tout autant du pacte romanesque que du pacte autobiographique). D'autres auteurs entendrons le mot "autofiction" différemment. Ce qui donnera lieu à une querelle de l'autofiction (plusieurs, en fait) au de laquelle (desquelles) des références philosophiques seront déployées pour justifier tel ou tel sens donné au mot autofiction.

      Exposé
       : Germain Koudou sur Une histoire de l’empathie par Jacques Hochmann

      Exposé : Louis Fontaine sur Qui suis-je ? Sartre et la question du sujet de Philippe Cabestan

    • 17 novembre

      Les proximités de l’autofiction avec la philosophie, que nous avons repérées la dernière fois ou, plus exactement, les proximités de l’autofiction avec les thématiques philosophique de la subjectivité, du moi et du « récit de soi », se transforment, chez Annie Ernaux, en proximités avec la sociologie, sans doute parce que, comme elle le dit, elle cherche à « saisir, dans [son] expérience, les signes d’une réalité familiale, sociale ou passionnelle. » Le tout est effectué par un recours aussi clinique que possible au « ressenti ». Le mot « clinique », souvent utilisé pour qualifier la prose d’Ernaux, veut dire : « dépourvu de métaphores ». Nous aurons donc suivi les transformations suivantes : Nouveau Roman > Nouvelle Autobiographie > Autofiction > Auto-socio-biographie. Et, dans toutes ces transformations, l’auteur (donc le centre de subjectivité d’où émane l’écriture elle-même) se voit, à chaque fois, redéfini ou remodelé dans sa place et dans son statut. S’il est nié par le Nouveau Roman, il est déjà partiellement restitué dans la Nouvelle Autobiographie puis franchement remis dans une place centrale dans l’autofiction et, à nouveau relativisé dans l’auto-socio-biographie. L’évolution des « modes » littéraires témoigne ainsi de multiples fluctuations de la notion de sujet qu’on trouve aussi dans les discussions philosophiques qui leur sont contemporaines. Il y a, dans l’auto-socio-biographie (nom qu’A. Ernaux finit par donner au genre de textes qu’elle produit) une recherche de la façon dont les structures sociales s’impriment dans les individus.

      Exposé : Antoun Semaan sur Empêtrés dans des histoires de Wilhelm Shapp

    • 24 novembre

      Reprise de quelques éléments du cours de la semaine dernière (complément sur la fin du cours et la notion d’un égoïsme utilisable pour autrui). Les travaux d’Annie Ernaux ne sont pas isolés. Didier Eribon, sociologue, peut tout à fait qualifier d’autosociobiographique, pour reprendre l’expression d’Annie Ernaux, son livre intitulé Retour à Reims (d’où il est originaire). Liens de cette thématique du « retour à » avec le thème de la madeleine de Proust. L’interprétation, par Doubrovsky (et Lejeune), de cet épisode fondateur de La recherche mérite d’être reprise et approfondie. La signification de l’épisode de la madeleine peut alors être reprise sur une base élargie qui inclut la dimension sociale que cherche à atteindre Ernaux, Eribon et d’autres. Analyse du sentiment de honte es central dans cette approche. À partir de là, il deviendra possible de reprendre l’examen d’une des notions qui est donnée comme une clé de l’effectivité de l’écriture : la performativité. Domaines dans lesquels cette effectivité de la littérature est recherchée pour elle-même que je qualifierai d’écriture pragmatique : médecine narrative, justice narrative, ou plus largement thérapie narrative. On sort donc ici du champ propre de la littérature pour atteindre le champ de l’effectivité de l’écriture. Description du « tournant narratif » qui a accompagné (ou a déclenché : il est difficile de dire ce qui est ici cause et ce qui est conséquence) cet intérêt pour la pragmatique de l’écriture qu’on pourrait aussi appeler « narrativité appliquée ». La distinction importante en anglais entre illness et disease est l’un des fondements de la médecine narrative. Mais cette distinction est déjà implicitement présente chez des auteurs qui n’ont jamais entendu prononcer l'expression de « médecine narrative » et qui n’ont pas accès à cette distinction qui vaut pour l’anglais mais qu’on ne retrouve pas en français. C’est le cas d’Hervé Guibert qui a pratiqué une forme d’écriture de soi très proche de celle que décrit la médecine narrative et qui correspond, par ailleurs, à ce qui est identifié sous le nom d’autofiction.

    • 1 décembre

      Bruno Blanckeman propose une périodisation de l’activité littéraire du début du vingtième siècle à nos jours. Il distingue quatre périodes :  1. Période des innovations esthétiques (Gide, Proust, Céline). 2. Période d’une littérature de l’engagement (Malraux, Camus, Sartre, Aragon). 3. Période du Nouveau (Robbe-Grillet, Claude Simon, Sarraute à Robert Pinget, de Beckett). 4. Une période de crises : « A époque incertaine, récits indécidables : la notion d’indécidabilité narrative se veut la théorisation souple de ce postulat ». Dans cette dernière période, la littérature tend à intervenir sur le monde. Et c’est le rôle de ces récits « indécidables » qui ne sont ni tout à fait histoire factuelle ni tout à fait fiction. C'est dans cette période qu'apparaît notamment la médecine narrative dont on soulignera les liens avec ce qu’on a appelé les « écrits bruts » (l’expression est de Michel Thévoz qui reprend celle d'art brut de Jean Dubuffet), écrits qui sont directement tirés de l’expérience d’individus. Ce panorama permettra de dégager le terrain sur lequel se posent les questions métaphysiques autour de la fiction. Le « paradoxe de la fiction » (bien que cette expression n'y figure pas directement) par Colin Redford, formulé en 1975 dans l'article Comment s'émouvoir du sort d'Anna Karénine ? Le débat se poursuit et se prolonge dans le livre de livre de Markus Gabriel intitulé Fictions (Vrin, 2023, publication originale en allemand 2020). Distinction conceptuelle entre imagination et savoir: nos concepts font une distinction entre imagination et savoir, mais notre pensée, elle, ne fait pas cette distinction. Elle glisse constamment de l’une dans l’autre : de l’imagination au savoir et du savoir à l’imagination. 

      Exposé : Frédéric Choisay sur Dire vrai sur soi-même : Conférences prononcées à l’Université Victoria de Toronto de Michel Foucault

    • 8 décembre

      Reprise de la formulation initiale de Radford et son développement jusqu’à la notion d’ontologie des champs de sens de Markus Gabriel. La semaine dernière, j’ai présenté les travaux de Colin Radford (1935-2001), philosophe anglais spécialiste d'esthétique, auteur de l'essai de 1975 "How Can We Be Moved by the Fate of Anna Karenina" (Comment pouvons-nous être émus par le destin d'Anna Karénine ?). Peu de temps après (en 1978), Kendall Walton, un philosophe américain, va reprendre le thème mais en allant beaucoup plus loin que Radford ne l’avait fait. Kendall Walton (né en 1939) professeur de philosophie de l'université du Michigan (Ann Arbor, non loin de Detroit). Son travail porte principalement sur des questions théoriques concernant les arts et des questions de philosophie de l'esprit, de métaphysique et de philosophie du langage. Il a essentiellement travaillé sur la représentation picturale et la fiction, sur les émotions et sur le statut ontologique des entités fictives. L’une des questions que pose Walton est de savoir ce que signifie être « captivé » par une œuvre. L’expression « ontologie des champs de sens » est l’expression qui a été choisie par Markus Gabriel et qui permet de répondre à la question posée. En fait, elle permet même de montrer pourquoi la question posée repose sur une ontologie déficiente.

      Exposé : Olivia Stevens-Paul sur : La médecine narrative de Rita Charon

      Exposé : Hannah Gandonnière sur Les écritures du moi de Georges Gusdorf

      Exposé : Leann Milliens sur : La mémoire, l'histoire, l'oubli de Paul Ricœur

    • 15 décembre

      Examen : dissertation